Paris 1876-1939 : les permis de construire

Il y a une vingtaine d’années, j’ai informatisé, tout seul et avec des moyens successifs - mais de moins en moins rudimentaires au fil du temps -, les demandes de permis de construire qui avaient eu la judicieuse idée d’être publiées, pour la ville de Paris, entre 1876 et 1914. L’ensemble représente, au final, plus de 66.000 fiches !
Ces informations sont d’une importante capitale pour l’histoire de l’architecture parisienne, celle des architectes, mais aussi celle de leurs commanditaires. Malgré leur grande sécheresse documentaire, elles racontent l’urbanisme, l’histoire des quartiers, et savent même évoquer, parfois, quelques édifices insolites qui échappent aux archétypes habituels que sont la maison, l’immeuble ou l'édifice à vocation industrielle ou commerciale.
Les bâtiments publics et la plupart des églises échappent à ce répertoire. Ils n’étaient pas soumis à l’administration “ordinaire” de la voirie, puisqu'ils passaient par d’autres voies administratives, plus prestigieuses, mais aussi plus contraignantes.
Dans notre propos, c’est l’architecture des particuliers qui s’étale donc au grand jour, celle des petits boutiquiers enrichis, celle des promoteurs immobiliers, celle de l’aristocratie des beaux quartiers, celle des veuves soucieuses de "placer" leur patrimoine. Au hasard des mentions sont évoqués des artistes, des “célébrités” de l’époque, dont le nom - administration oblige - n’est jamais déguisé. On apprendra ainsi que la reine Isabelle II d’Espagne, pour ne prendre qu’un exemple, fit beaucoup construire à Paris, où elle avait décidé de s’installer après son exil...
Le Paris que nous connaissons aujourd’hui est principalement né au cours de cette période : si les percées haussmanniennes avaient largement éventré le centre de la capitale, emportant au passage une grande partie de son patrimoine médiéval, la modernisation du cœur de Paris fut d’abord assez lente, pour devenir plus intense au cours de la IIIe République. Au même moment, les arrondissements extérieurs commencèrent peu à peu à se débarrasser de leur image de banlieue pittoresque, bientôt aidés par l’arrivée du métropolitain. Finis les entrepôts, les jardinets... Finis les terrains vagues ! Du XIe au XXe arrondissement, Paris se dota alors d’une seconde ceinture immobilière, à l’urbanisme dense.
Une publication a déjà été faite à partir d’une partie du même matériau : 'Dictionnaire par noms d'architectes des constructions élevées à Paris aux XIXe et XXe siècles - Première série, période 1876-1899", par Anne Dugast et Isabelle Parizet (publié par l'Institut d'histoire de Paris, 4 volumes, 1990-1996). Elle vient d'ailleurs de connaître une suite récente, avec la parution du premier volume de la seconde série (1900-1914). On en saluera ici l’audace, l’iconographie originale, et le contenu proprement dit, documentairement important. Mais notre propos, également étendu jusqu'en 1914, est assez différent, puisqu'il est classé par noms de rue, tient compte des fiches dépourvues de toute indication d'un architecte, mentionne le nom et l'adresse du propriétaire et donne la date précise de chaque demande. Ainsi, la période de l'Art Nouveau, qui fait encore largement défaut à cet ouvrage, est enfin disponible.
Plus que l’artiste - éventuel, car tous les architectes n’ont pas mérité de voir leur nom briller au panthéon de l’art -, c’est donc la ville elle-même que j’ai cherché à privilégier. La ville des quartiers. La ville des rues. La ville des parcelles.

Ce travail a été fait à partir de deux sources principales : d’abord, la revue “La Semaine des Constructeurs”, pour la liste des demandes de permis (de 1876 à 1885) et pour celle des travaux commencés (de 1876 à 1892, avec une brève reprise entre 1893 et 1894), puis le “Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris”, pour la suite des demandes de permis (de 1886 à 1914). La première publication était hebdomadaire ; la seconde - qui existe toujours - est quotidienne. Au début de l'année 1886, le passage de témoin entre les deux publications est assez flou pendant quelques jours, mais la continuité est malgré tout parfaitement assurée (1).
Que trouve-t-on dans ces publications ? La mention de tous les projets de constructions nouvelles, soumis par des particuliers à l’administration municipale en vue de l’obtention d’un permis de construire. A la suite du numéro d’arrondissement, on y trouve successivement : l’adresse de la parcelle, le nom et l’adresse du propriétaire, le nom et l’adresse de l’architecte et, enfin, la nature des travaux envisagés. Evidemment, ces renseignements sont parfois incomplètement fournis, mais, dans l’ensemble, ils représentent une source extraordinaire d’informations, en dépit même de la concision extrême du texte.

Le classement a été fait de façon très simple et pratique : par ordre alphabétique des voies (“avenue” étant placé avant “impasse”), puis, pour chaque rue, dans l’ordre numérique des parcelles. Les mentions sans numéros sont placées en fin de liste, en commençant par les plus précises (indication d’un angle de rue, par exemple). Lorsque deux mentions commençaient exactement par le même intitulé (“10 rue de l’Abbaye”, par exemple), l’ordre chronologique a alors été adopté, la plus ancienne précédant, de façon logique, la plus récente.
La mention d’une rue est immédiatement suivie du numéro de son arrondissement, afin de ne pas encombrer les fiches qui suivent avec cette information récurrente . Néanmoins, il se peut que certaines informations proposent un numéro d’arrondissement différent, parfois de façon fautive. J’ai donc indiqué, au cas par cas, ces différences du texte. Par ailleurs, et afin de comprendre les inévitables et fréquents changements dans la dénomination des voies parisiennes, j’ai éventuellement rappelé, dans un bref historique, ce qu’il en est exactement. Je n’ai évidemment pas évoqué tout ce qui est antérieur à la période considérée (1876), mais j’ai évidemment indiqué les noms successifs de chaque voie, jusqu’à celui qui est aujourd’hui utilisé. J’ai réalisé des renvois, en italique, permettant de retrouver, à l’adresse actuelle, le nom qu’une rue pouvait porter en 1880 ou en 1910 ; on les trouve ainsi libellés : "rue X : voir AUSSI : rue Y".
Les fautes de transcription sont fréquentes, certainement dues à l’origine manuscrite des documents fournis par les propriétaires. On peut même supposer qu’elles s’accompagnent de nombreuses autres erreurs, dues à l’inattention du transcripteur, souvent pressé par le temps et contraint de rédiger, très vite, une rubrique qui, à ses yeux, n’était pas la plus importante de la revue. Je n’ai absolument pas cherché à corriger le texte original, ayant été bien plus occupé à tenter de le transcrite le plus fidèlement possible que d’y chercher des fautes, parfois trop difficiles à déceler. Il n'est pas non plus impossible que j'ai ajouté à cela mes propres inattentions, mais c'est sans doute le prix à payer pour une telle somme !
Un certain nombre d’abréviations, très simples, ont été adoptées pour la nature des travaux : “H” veut dire “hôtel” (et "HP" : "hôtel particulier"), “C” : “Construction” (et “re-C” : “reconstruction”), “S” : “Surélévation”. Le chiffre qui précède éventuellement indique le nombre d’édifices (“3C” veut dire : “3 constructions”) et celui qui suit indique le nombre d’étages (“C3” signifie donc : “construction de 3 étages). On traduira ainsi : “2C7” par “2 constructions de 7 étages” (je rappelle que le rez-de-chaussée n’est généralement pas compris parmi les “étages”). Par ailleurs, “I” veut dire “intérieur”, et “rapp” signifie “rapport”, c’est à dire un édifice destiné à la location ou à la vente par appartements.
On s’apercevra aussi, très rapidement, que certains projets étaient faits sur des voies au nom encore très incertain (“voie nouvelle”), que la numérotation n’était pas forcément fixée (“23 présumé”) et que les rues ont souvent été “prolongées”. Il est certain que, dans une ville en perpétuelle transformation, la numérotation changea souvent. Il sera donc nécessaire, lorsqu’on cherchera un édifice à partir de cet inventaire, de ne pas se fier trop aveuglément à la numérotation indiquée... Le n°3 a pu devenir le n°7, cinq ou dix ans plus tard... Il ne sera pas non plus impossible de trouver plusieurs fiches pour la même adresse. Elles témoignent des diverses modifications subies par une parcelle (construction, agrandissement, re-construction...), mais aussi de ces éventuelles variations de numérotation.
Enfin, j’ai tenu à faire des renvois, d’une rue à l’autre, pour toutes les adresses “doubles” (“6 rue de l'Abbaye + rue de Furstenberg”, par exemple), beaucoup d’édifices d’angle ayant été déclarés sur leur plus petite façade. En effet, les taxes foncières se calculant alors sur les “portes et fenêtres”, les propriétaires n’hésitaient alors pas à déclarer leurs travaux sur la façade la plus étroite, où il y avait le moins d’ouvertures (sinon pas du tout). Ces renvois, également en italique, permettent ainsi de mieux trouver les édifices ayant une double adresse. Ils sont ainsi libellés : "rue X : voir 72 rue Y". La différence entre les deux types de renvois est la présence du mot "AUSSI" pour les rues, et son absence pour les parcelles.
Hélas, comme cet inventaire est long et que je commence à le publier par la lettre A..., il faudra attendre les mises à jour pour obtenir, tant pour les rues que pour les édifices eux-mêmes, la mise à jour de tous les renvois. Je ne peux pas faire autrement...
Vous n’avez rien compris à tout ce qui précède ? Pas d’importance. Laissez-vous "bercer" par ces listes - interminables, mais si passionnantes, parfois ! - et revenez à cette introduction si vous avez des doutes. Et si vous n’y arrivez vraiment pas, laissez une question en m’envoyant un “commentaire” : je verrai bien ce que je pourrai faire pour vous aider.

(1) En reprenant mon dépouillement à partir de 1915, je me suis aperçu que certains volumes, de la "Semaine des Constructeurs" comme du "Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris", avaient échappé à ma maniaquerie documentaire. Ils seront bientôt intégrés dans ce blog, avec les années 1915-1939.


Comme vous pourrez le constater, j’achève aujourd’hui la publication des demandes de permis de construire, sur l’ensemble de Paris, par ordre alphabétique de noms de rues. C’est un travail long, patient, mais que j’espère utile à tous les amateurs d’architecture parisienne, aux étudiants et historiens d’art, aux simples curieux, ainsi qu’ à tous les “tête-en-l’air” qui, comme moi, sont toujours menacés de se retrouver écrasés par un autobus en allant voir un bel immeuble sur le trottoir d’en face.
Vous l’aurez également remarqué : ce blog n’est pas encore très illustré. En premier lieu parce que je n’ajoute une image que lorsqu’elle correspond avec certitude à la fiche correspondante. Mais, si mes “petits” travaux vous intéressent, il ne tient qu’à vous de m’adresser (via le mail que vous trouverez dans mon “profil”) le produit de vos propres découvertes. Je ne demande qu’une chose : obtenir en même temps l’adresse précise de l’édifice et le relevé des inscriptions de la façade. Car si faire de la documentation ne prend pas forcément beaucoup de temps, encore faut-il la faire soigneusement. Vous pouvez signer vos images (ou me demander de le faire). Je le ferai volontiers à titre de remerciement.
Dans l’ensemble du blog, le “gras” est réservé à la tête de chapitre de chaque rue, ainsi qu’aux fiches correspondant à des images ; l’”italique”, pour sa part, permet de signaler tous les renvois d’une rue à une autre, afin de faciliter vos recherches, notamment pour les immeubles d’angle dont on ne sait jamais à quelle adresse ils ont été initialement déclarés : l’emplacement de la porte d’entrée n’est jamais un critère pertinent, car les propriétaires, pour éviter de payer trop d’impôts, s’ingéniaient souvent à faire leur déclaration sur la façade la plus étroite. Il n’y a pas d’autre usage, pour les gras et les italiques, sur “Paris en construction”. Si vous remarquez un pavé de fiches, non illustrées, qui ne seraient pas dans le style normal du texte, c’est une erreur que je vous remercie d’avance de me signaler (avec l’indication, même approximative, de l’endroit où elle se trouve) : travaillant sur un Mac, je suis malheureusement obligé d’ajouter manuellement tous ces “enrichissements typographiques” (comme on dit dans le monde de l’édition). J’ai fais des vérifications.... mais certaines erreurs ont pu m’échapper.
Il n’est pas non plus difficile de remarquer que beaucoup de fiches sont fautives, car les demandes de permis, jusqu’à la généralisation assez tardive de la machine à écrire, étaient généralement manuscrites. Et les hommes de 1900, comme ceux de 2008, n’avaient pas toujours une écriture facilement déchiffrable. Les typographes étaient généralement pressés - ces informations n’étaient pas la priorité des publications pour lesquelles ils travaillaient - et ne faisaient pas toujours très attention à la qualité de leur transcription. Les noms de personnes sont donc souvent mal orthographiés, les noms de rue parfois très fantaisistes, les numéros des parcelles assez souvent fautifs. Chacun a donc le droit de me faire ses remarques sur ce point. Toute correction est bonne à faire.

Ce blog est-il terminé pour autant ? Evidemment, non. D’abord, l’apport d’images nouvelles - qu’elles viennent de moi ou de vous-mêmes, sympathiques internautes - ne peut que l’enrichir et le rendre encore plus utile. Ensuite...
Ensuite parce que j’ai décidé de ne pas m’en tenir là. La période des années 1920 et 1930 est tout aussi passionnante que le début de la troisième République. Le style Art Déco, ce qu’on nomme aussi le “style Paquebot”, l’architecture des cinémas, la question de la reconstruction d’après-guerre..., voilà des domaines qui méritent aussi d’être étudiés et vus. Si les maîtres de l’Art Nouveau n’arrêtent évidemment pas leur activité en 1914, d’autres - tout aussi importants - apparaissent alors sur la scène parisienne : Le Corbusier, Mallet-Stevens, Lurçat, Roux-Spitz...
J’ai donc entrepris de continuer mes dépouillements, consacrés aux années 1915 à 1939. J’y ajouterai aussi ce qui semble avoir été un oubli regrettable : les années 1893-1894 de la "Semaine des Constructeurs" (travaux commencés) et les années 1886 et 1889 du “Bulletin municipal officiel de la ville de Paris”, ayant cru que la publication des demandes de permis n'y commençait qu’en 1890.
Je ne vous laisse donc pas apprécier et profiter de toute la manne documentaire déjà disponible en vous disant “adieu”. La suite arrivera... mais il va falloir tout de même s’armer d’un peu de patience pour l’obtenir, car les archives de vingt ans d’architecture ne se consultent pas en quelques jours.

Vos commentaires sont toujours un plaisir. Ne vous gênez pas pour continuer à donner votre avis, vos conseils, vos critiques aussi, mais aussi pour poser vos questions. Dans la mesure de mon possible, j’y ai toujours répondu, notamment pour ceux qui, trop impatients, ne pouvaient pas attendre l’arrivée des fiches correspondant à la rue qui les intéressaient. Le mail du blog est toujours ouvert et je le consulte régulièrement. Mes réponses sont souvent immédiates, de peur de laisser passer le temps... et d’oublier.
Bonne lecture. Et à très bientôt

L’AMI MATEUR